21/10/2020

Lettre ouverte aux Lunévillois.e.s et à leurs élu.e.s – Le théâtre public, une richesse pour un territoire

Une programmation de saison qui s’arrête fin décembre, un éditorial pour le moins maladroit, un audit piloté par un cabinet d’analyse financière ignorant les enjeux culturels, un sondage sans fondement sérieux, qui ne pouvait qu’aboutir au résultat escompté tant le terme d’élitisme est le refrain habituel de ceux qui ne s’intéressent pas aux oeuvres artistiques, une absence de dialogue de la part de la Ville avec les acteurs culturels… voilà qui nous inquiète, nous, professionnels du spectacle vivant et toutes les personnes attachés au théâtre public. Nous alertons sur l’avenir des valeurs que nous portons : elles sont en danger.
La disparition d’une scène conventionnée, qui unit en son sein les forces politiques et financières conjointes de la Collectivité qui la porte, de l’État, la Région, le Département et d’autres, serait une perte immense. C’est malheureusement le scénario qui se profile à Lunéville.
Un théâtre comme la Méridienne, c’est la possibilité donnée à de très nombreux enfants et adolescents de découvrir l’art vivant, à des spectateurs, des habitants, de rencontrer et partager des moments avec des artistes, certains venus de loin, voire de très loin, et d’autres, d’ici ou tout près d’ici, mais tous collaborant suffisamment longtemps pour faire vivre une permanence artistique dans la ville et alentours, pas juste le temps d’une représentation, sans médiation ni lendemain, et puis s’en va, comme certaines tournées parisiennes privées…. Ce sont des partenariats avec des écoles, des prisons, des Ehpads, des associations locales, pour que la circulation de la culture et des oeuvres soit vivifiée partout et que chacun ait accès à l’art.
Comment parler d’élitisme quand on sait quelles populations, quels publics sont touchés, concernés par la diversité des propositions. Rien dans les oeuvres programmées à ce jour à la Méridienne ne permet de le dire. Et qui, parmi ceux qui emploient ce mot, ont déjà franchi les portes d’un théâtre, celui de la Méridienne en particulier ?
Notre expérience nous prouve que les oeuvres que nous proposons sont accessibles à tous. Et si le spectacle vivant n’est là que pour offrir ce qui est diffusé aux heures de grande écoute sur la lucarne télévisuelle ou les réseaux sociaux, à quoi bon ! L’art soutenu par les politiques publiques s’honore de l’ambition exprimée par Antoine Vitez, un théâtre élitaire pour tous.

Le traitement fait à la Méridienne et son équipe n’est pas acceptable. Ils ont construit pas à pas un lieu de circulation et de brassage des artistes, des disciplines, des renommées et des différents milieux, un lieu de rencontre pour chacun avec quelque chose qui pourrait lui plaire et qui est, par définition, l’inverse d’une “attente”, qui ne peut exister puisqu’on ne peut attendre l’inattendu. Les dialogues artistes-publics, avec les consciences et sensibilités qui s’éveillent au gré des échanges, tout ce qui fait la richesse des arts de la scène, y est particulièrement développé et favorisé, lors des temps de résidences, d’actions artistiques et de représentations.
Éteindre la lumière qu’entretiennent patiemment et avec passion ces coureurs de fond de la culture, c’est se couper du monde et abandonner l’ambition du long terme pour de vaines satisfactions de court terme.
Maltraiter la culture, vouloir ceinturer sa liberté, c’est tourner le dos à un projet de société progressiste et humaniste tel qu’ébauché dans le Programme du Conseil National de la Résistance, confirmé par la création du Ministère des Affaires Culturelles et la mise en oeuvre de politiques artistiques portées par des Dasté, Malraux, Vilar, Michel Guy, Jack Lang, Jacques Brücher, Hubert Gignoux… La Méridienne est un lieu référent, en Lorraine et tout le Grand Est, pour les équipes artistiques professionnelles, qui favorise le rayonnement de Lunéville tout en tissant les liens avec ses spectateurs et tous les lunévillois.es. La condamner serait plus qu’un renoncement, ce serait une nouvelle étape de désertification du territoire, un reniement de ce qui fait notre République.

Alors, quand Madame le Maire de Lunéville, sur RCM, se lance dans des approximations, hasardeuses et partiales, décrivant un pays où le réseau des scènes conventionnées serait comme un monde clos, accaparant pour lui seul les moyens publics qui lui sont confiés, nous nous interrogeons : ignorance ou manipulation ? Et quand l’équipe municipale commande un audit à un cabinet privé qui, de son propre aveu, ne connaît rien au secteur culturel, est-ce pour y voir plus clair ? Quand Madame le Maire s’appuie sur un sondage fait à l’emporte-pièce, qui n’a rien du vote éclairé qui fonde l’esprit démocratique, est-ce ignorance ou manipulation ? Et quand, à la question du journaliste sur une volonté de destruction, elle affirme qu’elle ne veut pas tout détruire, cela sous-entend, malencontreusement, une volonté de destruction, au moins partielle, du travail accompli par la Méridienne ; encore une fois, est-ce ignorance ou manipulation ?

Cependant nous ne pouvons nous résoudre à croire qu’une élue de la République prenne une telle décision, sans concertation avec un directeur que nous savons ouvert à ses concitoyens. Il s’agit aussi d’un professionnel aguerri, dont l’expertise est reconnue. Programmer des spectacles semble si facile, puisque nous avons tous une sensibilité, un sens critique… mais diriger un théâtre, soutenir la création, créer des espaces de partage entre artistes et public ? Est-ce bien raisonnable de s’inspirer uniquement de ceux qui n’y viennent pas ? Est-ce vraiment la bonne méthode ?
Aussi, nous en appelons à un véritable dialogue des élus de Lunéville avec l’équipe de la Méridienne, lieu artistique majeur de vie et d’échange dans notre Région. Nous nous tenons aux côtés des Lunévillois.es attaché.e.s à son existence et vous invitons à soutenir La Méridienne en allant découvrir les spectacles qu’elle vous propose jusqu’à fin décembre.

Pour l’USEP-SV, Union syndicale des employeurs du secteur public du spectacle vivant regroupant le SNSP, le Syndeac, Les Forces Musicales et le Profedim

Philippe Cumer – Directeur de La Machinerie, Scène conventionnée d’Intérêt National en cours d’habilitation, Homécourt
Délégué régional Grand-Est du SNSP, Syndicat national des scènes publiques

Gaël Leveugle – Directeur de la compagnie Ultima Necat, Nancy, Délégué National élu en région Grand Est du SYNDEAC

Florence Alibert – Directrice de la Cité musicale-Metz, pour Les Forces Musicales et Profedim

et

Cécile Gheerbrant et Hélène Lantz délégation Synavi Grand Est
Marion Battu, Axel Goepfer, Till Sujet, Yannick Toussaint, Co-Présidents de la Farest
Virginie Hopé-Perrault, Présidente du Réseau Jeune Public Grand Est
Didier Patard et Vincent Ehl, Co-Présidents du réseau de cirque Grand CIEL
Marie-Hélène Créquy et Thomas Ress, Co-Présidents du réseau Quint’Est
Alexandra Tobelaïm – Directrice du NEST, Centre Dramatique National de Thionville, pour le groupe de travail informel de plus de vingt directeurs de lieux du Grand Est, formé pendant le confinement

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