22/01/2015

Découvrez l’interview de Michel Lefeivre à la Gazette des Communes

« Pas de liberté de création sans liberté de programmation » – Michel Lefeivre

Publié le 20/01/2015 – Par Hélène Girard – La Gazette des Communes

L’Assemblée nationale accueille le 21 janvier 2015 la troisième et dernière Rencontre parlementaire sur les politiques culturelles co-organisée par le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) et le député (PS) de Côte d’Or, Laurent Grandguillaume. A cette occasion, la Gazette, qui est partenaire de ce cycle de rencontres, a rencontré Michel Lefeivre, Président du Syndicat national des scènes publiques (SNSP), organisation professionnelle qui participe à ces débats.

Le SNSP participe aux rencontres parlementaires sur les politiques culturelles organisées par le Syndeac et le député de Côte d’Or, Laurent Grandguillaume. Qu’en attendez-vous ?

Organiser des débats dans un lieu de parole symbolique – au sein de l’Assemblée nationale – a forcément un écho et ne peut que réveiller certaines consciences. D’autant que ces rencontres vont se poursuivre en région. Bien entendu, nous aurions tous souhaité que les députés soient plus nombreux à venir débattre avec nous lors des deux premières rencontres. C’est la difficulté de ce type d’initiatives.
En tout cas, c’est notre travail d’organisation syndicale de sonner l’alerte pour rappeler que culture, art, libertés de conscience, création et programmation constituent des piliers de notre République. Que les saper est une insulte à l’intelligence et une mise en danger de notre démocratie.
Il est temps de rappeler que l’art et la culture constituent une responsabilité de chacun, de chaque élu – et pas seulement les élus la culture.

Quelle est la situation des scènes subventionnées en région ?

Le tableau est assez sombre, car nous sommes confrontés à deux problèmes : d’une part, la baisse des subventions des collectivités provoquée par celle des dotations de l’Etat, et, d’autre part, la multiplication des attaques contre la liberté de programmation.
Concernant les subventions, nous rencontrons cette difficulté un peu partout. Les informations sur les prochaines budgets qui nous remontent du terrain font d’ores et déjà état de réductions de crédits importantes, de 15, 20, voire 30% !
Parfois, les deux problèmes sont liés, en ce sens que certains élus avancent masqués : la baisse de subventions cache parfois une contestation des choix artistiques des directeurs d’équipements. Ces mises en cause sont loin de se limiter à deux ou trois cas isolés. Certains, comme le Forum, au Blanc-Mesnil [Seine-Saint-Denis, ,ndlr], sont médiatisés. Mais il en existe bien d’autres, dont on parle peu, soit parce que nos collègues sont en pleine négociation avec leur collectivité, soit parce qu’il s’agit d’équipements plus petits, moins connus, ou de professionnels moins repérés.

Comment se manifeste cette contestation de la programmation ?

Outre la diminution des crédits, ces attaques peuvent prendre la forme d’une demande de dé-conventionnement, d’un terme mis à une DSP, d’une remunicipalisation etc. Cela peut donc aller jusqu’à une reprise en main directe de la programmation.
Certains élus estiment qu’ils ne sont pas là pour aider les artistes mais pour faire plaisir au public. Mais on sait bien que la création artistique passe souvent par des processus de rupture, voire de radicalité, qui peuvent déstabiliser le public. Cela a toujours été ainsi.
Si les villes ne sont pas capables d’accompagner la prise de risque artistique, avec des programmations exigeantes, audacieuses, empruntant des territoires en cours de défrichage, comme les arts numériques, les nouvelles formes d’écriture, les arts mêlés etc., cela pose un réel problème sur la place de l’art et des artistes dans notre société. C’est pourquoi nous avons insisté auprès de la ministre pour que le projet de loi sur la création, le patrimoine et l’architecture, mentionne non seulement la liberté de création, mais aussi la liberté de programmation. L’un va avec l’autre, sinon la liberté de création reste un vœu pieux.

L’avant-projet de loi prévoit aussi la création d’un observatoire du spectacle vivant. Quels sont les besoins ?

Une grande quantité de chiffres sont produits sur notre secteur, par beaucoup d’organismes professionnels, de régions, de départements, par le ministère de la Culture sur les structures qu’il finance etc. Mais toutes ces données ne sont jamais agrégées.
Nous ne disposons donc d’aucun moyen pour observer le spectacle vivant dans sa globalité et de façon précise. Si seul le réseau labellisé est observé, cela ne nous donne qu’une vision très parcellaire du secteur, car ce réseau est certes important, mais il n’est pas majoritaire en nombre de représentations et de spectacles.
D’après les fichiers commerciaux dont nous avons connaissance, nous pensons qu’il existe environ 2000 lieux non labellisés et environ 2500 festivals. Nous avons aussi besoin d’une connaissance fine de la diffusion : savoir qu’à tel endroit, telle esthétique est présente, et pas telle autre, connaître la typologie des lieux, les types de fréquentation etc.
Il nous faut des outils d’observation fiables pour élaborer des politiques publiques. Nous demandons à l’Etat de prendre en charge cette observation. Nous voulons qu’elle repose sur un chiffrage incontestable, basé sur la billetterie et une définition partagée du périmètre concerné. Ces données ne doivent évidemment pas servir à faire une « politique du chiffre ». Etat, collectivités et professionnels devront les analyser ensemble et se mettre d’accord sur les actions à mener : ici, un processus de médiation culturelle, là un investissement supplémentaire etc.

Comment accueillez-vous la réforme territoriale ?

A priori, nous n’avons rien contre une réforme, d’autant que, par nature, les lieux culturels de proximité sont issus de l’aventure décentralisatrice. Ce qui nous inquiète, ce sont les transferts qui pourraient s’opérer dans un contexte budgétairement très contraint.
Autre motif d’inquiétude : l’apparition d’autres formes de gouvernance. Nous redoutons que les nouvelles analyses et les transformations qui vont en découler ne soient défavorables aux projets les plus fragiles.
Enfin, la réorganisation des régions risque, par le biais des fusions, de provoquer de l’éloignement entre les contributeurs financiers et les lieux de création et de diffusion, là où nous avons besoin de proximité et de dialogue avec les élus.

Quelle est selon vous la pierre angulaire de la gouvernance culturelle ?

Le SNSP n’a eu de cesse de demander que soit préservée la possibilité d’intervenir dans le champ culturel pour toutes les catégories de collectivités. A ce propos, nous préférons parler de responsabilité, plutôt que de compétence, car cela fait référence à une volonté politique et à une obligation morale. L’été dernier, l’ARF a lancé le débat sur une compétence obligatoire et partagée.
Sur ce point, notre position consiste à rappeler qu’en matière d’art et de culture, jamais rien ne s’est fait sur une base obligatoire. Pour le reste, peu importe comment s’organisent les collectivités, du moment que trois principes sont respectés : le partage des politiques culturelles par tous les échelons ; la mise en œuvre collective des partenariats ; l’attention portée aux projets les plus fragiles, aux formes émergentes, aux jeunes compagnies.
Ces points sont essentiels car ils correspondent à des spécificités de ce secteur, fait de montages éphémères et fragiles, avec des artistes qui viennent frapper à la porte des collectivités, et non l’inverse.

Dans ce contexte, quelle sera l’utilité de la charte signée en 2013 entre le SNSP et France Festivals, d’un côté, et la FNCC, de l’autre ?

Cette charte pose les principes d’un dialogue serein entre professionnels et élus, pour prévenir les conflits. Certes, il ne s’agit pas d’un document opposable. Mais il a la force d’un texte signé par deux organisations professionnelles et une association d’élus pluraliste.
N’oublions pas non plus le futur texte de loi « création artistique, patrimoine, architecture », qui va rappeler les principes de l’exercice de la liberté de création et de programmation. Avec cette future loi et notre charte, élus et professionnels disposeront de deux outils qui devraient leur permettre d’organiser un dialogue satisfaisant.

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